Les 50 ans du procès de Bobigny, vus par des masterant·es

Du 28 juin au 30 juillet 2022, la BMD a accueilli dans ses murs une exposition imaginée et conçue par les étudiant·es du Master “Médias Langages et Sociétés” de l’Institut Français de Presse (Paris 2 – Panthéon Assas).

L’objectif était de commémorer les 50 ans du procès de Bobigny (octobre-novembre 1972) et de transmettre ainsi la mémoire du combat mené par Marie-Claire Chevalier et son avocate, Gisèle Halimi. Pour ce travail, les étudiant·es ont été encadré·es par Lucie Alexis (Maitresse de Conférence en Sciences de l’Information et de la Communication), Claire Blandin (Professeure des Universités en Sciences de l’Information et de la Communication) et Camille Renard (Chargée de projet digital).

Le procès de Bobigny : un moment charnière pour le droit à l’avortement en France

Marie-Claire Chevalier a 16 ans quand elle est violée par un camarade du lycée. De cette violence résulte une grossesse, dont elle ne veut pas. Elle en informe le garçon qui refuse de reconnaître sa paternité. Aidée de sa mère, Marie-Claire rencontre d’abord un médecin (aux tarifs bien trop élevés), puis se tourne vers une faiseuse d’anges. Ironie du sort, c’est le jeune homme qui a agressé Marie-Claire Chevalier qui finit par la dénoncer à la police : l’avortement est illégal en France et les peines encourues vont jusqu’à plusieurs années de prison ferme.

Marie-Claire, sa mère (Michèle Chevalier), les amies de cette dernière qui les ont aidées (Lucette Duboucheix et Renée Sausset), et la faiseuse d’anges (Micheline Bambuck) sont mises en examen. C’est alors qu’entre en jeu l’avocate Gisèle Halimi¹ qui transforme le procès en arène politique pour lutter contre la loi de 1920². De grandes figures se succèdent à la barre telles que Simone de Beauvoir, Françoise Fabian et Delphine Seyrig. Le procès se déroule au tribunal de Bobigny, d’où le nom donné à l’événement.

La jeune fille et son entourage sont acquittés ; seule l’avorteuse écope d’une peine d’un an de prison avec sursis et d’une amende.

Le procès, largement médiatisé, a un impact considérable sur l’opinion publique mais aussi sur les magistrats. Le nombre de condamnations pour avortement décroît rapidement : 518 en 1971, 288 en 1972, puis seulement une dizaine en 1973³. Le 17 janvier 1975, la loi dite Veil entérine cet état de fait en dépénalisant ce qu’on appelle désormais l’IVG, l’interruption volontaire de grossesse.

Avec le manifeste de 343 (5 avril 1971), le procès de Bobigny est considéré comme un moment fondamental dans la lutte pour le droit à l’avortement en France.

Mémoire et création : les propositions des étudiant·es de Paris 2

Dans Draw my life, une série de dessins s’animent pour retracer la vie de Marie-Claire Chevalier, depuis sa naissance jusqu’à sa mort, en se concentrant sur la période du procès.

Alors je lui dis que j’ai avorté. Ce que je ne savais pas c’est qu’il me dénoncerait à la police pour négocier sa libération, tout ça pour un vol de voiture. On est arrêté avec maman, et puis, ses amies qui nous ont aidé aussi.”

Dans Raconte-nous le procès de Bobigny, l’animation alterne avec des moments d’entretiens en prise de vues réelles (l’historienne Bibia Pavard est interrogée) et l’intégration de coupures de presses datant de l’époque du procès.

Près de 150 femmes, hommes, des membres du mouvement de libération des femmes, manifestent devant le tribunal, franchissent les barrages de police et crient “Nous sommes toutes des avortées, inculpez-nous !”

Dans 1972-2022 : Que pensent les Français de l’avortement ?, deux micro-trottoirs sont mis en parallèle : on entend les mots de Françaises et Français des années 1970 qui se heurtent ou font échos aux paroles recueillies en 2022.

– Et vous, auriez-vous avorté ? – Ah je l’ai fait déjà, et même plusieurs fois et j’en suis bien contente, parce que trop de gosses comme ça…” (micro-trottoir, 1974)

L’événement, Annie Ernaux et l’avortement, revient sur la sortie de ce livre autobiographique (en 2000) dans lequel l’écrivaine raconte l’avortement qu’elle a subi à l’âge de 23 ans (donc en 1963). La vidéo témoigne du silence qui a accompagné cette sortie littéraire, interprété par Annie Ernaux comme la preuve du tabou toujours en vigueur autour du sujet de l’avortement.

Il n’y a eu aucun retentissement. L’accueil média a été épouvantable. Une sorte de loi du silence l’a accompagné. Alors que Bernard Pivot avait l’habitude de m’inviter, là il s’est abstenu. […] Pour beaucoup de médias, ce combat était dépassé. Arte a estimé qu’il n’y avait aucun intérêt à revenir sur ce sujet. Il y a eu un consensus pour ne pas en parler.” (Annie Ernaux)

1. Voir aussi l’entretien donné par Gisèle Halimi à Tania Angeloff et Margaret Maruani, “Gisèle Halimi. La cause du féminisme“, Travail, Genre et Sociétés, 2005/2, p. 5-25 [↩]
2. “La répression de l’avortement a été renforcée dans le contexte de la politique nataliste suivant la fin de la Première Guerre mondiale. La simple incitation à l’avortement et la propagande anticonceptuelle sont interdites par la loi du 1^er août 1920.”, voir article complet du site de l’Assemblée Nationale [↩]
3. Isabelle Engeli, Les politiques de la reproduction : les politiques d’avortement et de procréation médicalement assistée en France et en Suisse, Paris, L’Harmattan, 2010, p. 122 [↩]

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