Ressources numériques en sciences humaines et sociales OpenEdition Nos plateformes OpenEdition Books OpenEdition Journals Hypothèses Calenda Bibliothèques OpenEdition Freemium Suivez-nous

Sous la Toile avec Mélanie VanDanes

Le samedi 9 mars dernier, Mélanie VanDanes a offert au public de la BMD un voyage dans le temps à la rencontre des militantes de cinq collectifs féministes des années 1975-1985, grâce à un ingénieux système d’objets d’époque “hackés”. Découvrez les coulisses de Sous la Toile, son exposition sonore interactive.

Présentation rapide des collectifs :

Les Répondeuses : collectif fondé par Mimi Bastille, Danielle Prévôt et Carole Roussopoulos en 1977, avec une ligne téléphonique, un répondeur, deux magnétophones, une table de mixage et un micro, le groupe des Répondeuses s’élargit ensuite à dix femmes ; celles-ci assuraient un journal téléphonique, réalisé à partir des informations et des questions des femmes qui appelaient le numéro de téléphone des Répondeuses et laissaient leurs messages. Le fonds d’archives donné à la bibliothèque Marguerite Durand par le groupe comporte notamment des cassettes enregistrées qui viennent tout juste d’être numérisées.

Carabosses : librairie fondée en 1978 par Éliane Viennot avec un collectif de femmes, au 70 rue Jean-Pierre Timbaud puis au 58 rue de la Roquette dans le XIème arrondissement à Paris, associée à un café littéraire, le Barcarosse, conçu par ses fondatrices comme un « lieu de rencontres, d’expositions et d’animations régulières autour du livre, de la lecture, de l’écriture. ». La librairie ferme ses portes en 1986. Eliane Viennot a donné le fonds d’archives de Carabosses à la bibliothèque Marguerite Durand en 2015.

Goudous télématiques : premier service en ligne dédié aux lesbiennes, créé sur Minitel en 1985 (actif jusqu’en 1987) par Catherine Gonnard, Annie Cariou et Aline Tashjian, comprenant des informations sur les groupes, associations et journaux lesbiens, un service « actualités », une revue de presse regroupant des résumés d’articles parus dans la presse lesbienne ou autre, une messagerie, un courrier des utilisatrices.

Les 3F formation pour les femmes par les femmes : association créée en 1978 par une dizaine de femmes comme une structure de formation pour des femmes entièrement maitrisée par des femmes (gestion, animation) mieux à même de répondre à leurs besoins spécifiques. Elle propose des stages de plomberie, menuiserie, électricité, mécanique mais aussi d’information informatique, de massages et d’auto-défense. Au début des années 1980 l’association propose également des permanences d’aide psychologique et de santé. L’objectif est de donner une plus grande autonomie et de permettre des rencontres entre femmes d’horizons différents à travers une expérience commune.

Le Groupe lesbien de Paris : groupe dans lequel a milité Suzette Robichon.

L’idée

Peux-tu nous décrire ton installation en quelques lignes ?

L’idée de « Sous la toile » est de plonger l’auditeurice dans l’univers militant féministe des années 1975-1985, à travers un dispositif sonore interactif et une scénographie immersive. Des objets d’époque ont été hackés pour diffuser les interviews des militantes sous casque.

Comment t’est venue l’idée de ce projet ?

Lors de mon précédent documentaire, Suzette Robichon avait évoqué le collectif « Les répondeuses ». Ce collectif m’a intrigué et quelques années plus tard, j’ai décidé de faire des recherches et je suis arrivée à la bibliothèque Marguerite Durand. C’est là que j’ai trouvé la vingtaine de cahiers dans lesquels les Répondeuses ont retranscrit tous les messages reçus quelle que soit leur nature. Ça a été une source de plongée dans l’histoire incroyable qui m’a fait découvrir plein d’autres collectifs. Habituellement, je fais plutôt des documentaires sonores classiques qu’on peut écouter chez soi ou en collectif. Pour ce projet, j’avais envie de rencontres et qu’on puisse toucher les archives en quelque sorte pour faire corps avec elle et ajouter une dimension sensorielle au projet

Comment explores-tu ce thème de la transmission de la mémoire, au-delà de « Sous la Toile ? » (Bref, peux-tu te présenter, toi, tes autres projets, engagements féministes… ?)

Je suis très sensible à la voix, à la parole, à l’histoire sensible. Comment elle peut être racontée, incarnée avec les modulations des voix singulières. J’avais déjà exploré ce sujet des archives et du matrimoine autour de ma série documentaire sonore « Mes voisines » qui nous plongeait dans les allées du cimetière du Père-Lachaise où, avec trois amies lesbiennes, nous allions rendre visite à six femmes lesbiennes enterrées au Père-Lachaise. Ce lien entre passé et présent, faire circuler les histoires, sortir de l’invisibilité, c’est quelque chose qui me porte beaucoup.

La réalisation

Lorsque tu as mis au point ce projet, tu es venue faire des recherches à la bibliothèque Marguerite Durand. Comment les archives que tu y as consultées t’ont aidée à avancer dans ton projet ?

J’ai donc lu tous les cahiers des Répondeuses et au fur et à mesure, je prenais des notes sur mes cahiers, quand je tombais sur un collectif ou une association ou une initiative que je ne connaissais pas et il y en a eu beaucoup ! Alors certaines m’ont plus intriguée que d’autres donc c’est forcément une sélection subjective et partielle mais « Sous la toile » est un projet en perpétuelle évolution donc il est tout à fait possible que je j’ajoute d’autres histoires et d’autres objets. Ça a d’ailleurs été le cas pour les Goudous télématiques que j’ai intégrées récemment à l’exposition.

Et au-delà des cahiers des Répondeuses, j’ai pu consulter les fonds laissés par les 3F, par les Carabosses, par Catherine Gonnard et dans des archives iconographiques. Il y avait aussi les « cahiers chinois » des Carabosses qui était un cahier de transmission entre les bénévoles libraires. Donc c’est voir leurs écritures, c’est plonger dans cette époque. Là, ça m’a donné des idées pour faire vivre très concrètement ces témoignages.

L’idée de « hacker » les objets est absolument géniale mais comment t’y es-tu prise pour la réaliser au point de vue technique ?

Ça m’a pris du temps pour me décider sur la forme que je voulais que « Sous la toile » prenne au début. J’avais l’idée d’exploiter les cassettes des Répondeuses mais il n’était pas possible de les écouter. Il fallait qu’elles soient d’abord numérisées par les bibliothèques de la Ville de Paris. Donc j’ai dû réorienter mon idée initiale. J’ai aussi pensé ré-enregistrer des messages avec des voix d’aujourd’hui sur la base de ce qu’il y avait écrit dans les cahiers, mais j’avais tellement envie d’entendre la sonorité des voix de l’époque que c’était assez frustrant aussi. Donc il a fallu que je trouve autre chose et puis c’est parti d’une blague en fait ! La première interview que j’ai faite de Mimi Bastille des Répondeuses en se disant que ça serait vraiment super si on pouvait entendre la voix de Mimi en composant un numéro de téléphone et en décrochant son combiné. En en parlant à une amie, Cara Ardnt, qui est vraiment un génie touche-à-tout, elle m’a dit « mais moi je pense que je peux t’aider à faire ça ! ». Et du coup ça a déclenché quelque chose où je me suis dit « mais si on déclinait ce hacking, cette transformation des objets d’époque pour tous les collectifs ? ». Et donc là, ça a ouvert des voies et on a travaillé avec Cara pour chaque objet. Il fallait que le montage des interviews soit déjà très précis avec des thématiques, une durée qui soit pas trop longue. Ensuite trouver l’objet adapté et comment techniquement on allait pouvoir faire passer du son là-dedans ! Donc il y a de la soudure, il y a du code, il y a des trous. Voilà, ça a été un travail à deux et beaucoup grâce à l’ingéniosité de Cara !

Les échanges

Parmi les femmes que tu as rencontrées pour collecter leurs souvenirs, y’a-t-il une rencontre qui t’a particulièrement marquée ?

Elles m’ont toutes marquée. Je suis restée en contact et devenue amie avec un certain nombre d’entre elles. Celle qui a une saveur particulière parce que dans un contexte particulier, c’est celle d’Annie qui a été une des initiatrices de l’association « les 3F ». Elle était à l’hôpital et malgré l’opération qu’elle venait de subir a immédiatement accepté de me rencontrer et donc je suis allée la voir à l’hôpital et je l’ai interviewé sur son lit d’hôpital. Malgré son âge et la fragilité de son corps à ce moment, je l’ai trouvée extrêmement vive, pétillante, drôle, avec une mémoire très précise. C’était une rencontre assez folle.

Quelles sont les réactions des gens lorsqu’ils découvrent ces archives sonores ? As-tu toi-même utilisé ces objets dans ta vie personnelle (parents, grands-parents), en as-tu des souvenirs, quels rapports entretiens-tu avec eux ?

Je crois que les gens sont assez intrigués, émus, amusés aussi ! Beaucoup me racontent des souvenirs. Quel que soit leur âge il y a un rapport avec ce téléphone qu’une grand-mère a eu, le Walkman cassette qu’on a écouté dans la voiture. Ils/elles me disent aussi le lien particulier sensoriel que ça vient apporter dans la connexion avec ces femmes, au-delà et en plus du son.

Moi-même, mes grands-parents avaient ce téléphone avec le cadran et j’aimais beaucoup faire semblant de composer des numéros. Nous avions un minitel aussi sur lequel nous avions regardé les résultats du bac et grâce auquel nous pouvions contacter le Père Noël.

Est-ce que le public laisse volontiers des messages sur le répondeur, quels sont ceux qui t’ont le plus marquée / amusée / intriguée ?

Alors le répondeur c’est drôle parce que lui aussi il est hacké et les gens ont l’impression qu’il faut faire quelque chose alors que précisément il n’y a rien à faire ! Parce qu’en fait c’est une clé USB qui tourne en continu et qui est scotchée dans le micro. Elle est pourtant assez visible. Mais comme il y a un petit bouton rouge sur le micro, les gens pensent qu’il faut faire quelque chose ! J’ai fait un montage de ces messages-répondeur que j’ai valorisé sur mon compte Instagram @radiovandanes. Donc vous pouvez les écouter ! J’ai beaucoup aimé la session de messages lorsque j’ai installé l’exposition à la bibliothèque féministe Le poil de la bête au Mas d’Azil en Ariège. Les personnes qui sont venues était très inspirées et ont vraiment bien compris l’essence du projet. Donc on a une personne qui cherchait un pré pour son cheval, on a une personne qui demande à ce que les entraînements de l’équipe de foot féminine soient plus adaptés aux débutantes, on a une personne qui cherche une copine ou un copain pour aller à la piscine près de Saint-Girons. Enfin voilà, c’était très ancré localement, c’était très concret, vraiment l’esprit des répondeuses, ça m’a beaucoup plu.

Qu’as-tu pensé de la présentation de « Sous la Toile » à la BMD le 9 mars ?

J’ai beaucoup aimé cette journée à la bibliothèque Marguerite Durand, c’était pour moi une belle façon de boucler une première boucle. C’était pas la fin d’un cycle mais c’était une étape très émouvante de pouvoir revenir aux archives, faire vivre différemment les archives que j’avais trouvées. Leur donner des voix actuelles, les enrichir, tout faisait sens ce jour-là ! D’être en partenariat avec votre équipe de bibliothécaires incroyables, d’accueillir des gens qui étaient venus visiter la bibliothèque le matin dans le cadre des événements autour du 8 mars, et des gens qui découvraient pour la première fois la bibliothèque Marguerite Durand. C’était une très belle journée.

Ton exposition avait déjà été présentée dans plusieurs lieux, peux-tu nous en parler ?

Oui, il y avait plusieurs lieux d’exposition assez différents : d’abord dans un centre Paris Anim’ dans le 20e pour la toute première fois. Puis à un festival à la Cité fertile à Pantin qui s’appelait les « Dramagouines ». Ensuite nous sommes allés à Concarneau au festival « Very bad mother », c’était deux jours de festival autour de l’âgisme. Vu qu’on entend des voix de femmes qui ont entre 70 et 80 ans, ça les intéressait d’avoir l’exposition. Ensuite, on est allées au Mas d’Azil à la bibliothèque Le poil de la bête. Au mois d’octobre, j’étais invitée au festival à Hallogouine (nous aimons beaucoup les jeux de mots chez les lesbiennes) à Villeurbanne. Et enfin, après la bibliothèque Marguerite Durand, j’ai été invitée au festival « Gender is over » à Brive-la-Gaillarde le mois dernier.

À chaque fois ce qui est intéressant, c’est qu’on nous propose un espace plus ou moins rangé, plus ou moins propre, plus ou moins chaotique et il faut composer avec cet espace et inventer une toute nouvelle scénographie à chaque fois. Donc c’est ça que j’adore faire aussi, j’ai toujours une ou des copines qui viennent m’aider et dont l’énergie et la créativité sont fort utiles. On se sert de tout le matériel plus ou moins prévu pour organiser des petits cocons, des petits espaces pour pouvoir écouter de manière à la plus confortable possible

La suite

Quels sont tes projets pour la suite ? Aimerais-tu creuser d’autres sujets ? As-tu déjà prévu d’autres dates pour faire connaître « Sous la Toile » ?

Pour l’instant, c’est continuer à faire vivre l’exposition, je suis ouverte au voyage avec elle, elle tient dans deux boîtes et dans deux sacs recyclables. Donc il faut une voiture mais c’est quand même assez facilement déplaçable ! Pas encore d’autres dates prévues !

Dans les projets ça serait plutôt de pouvoir rencontrer d’autres collectifs pour nourrir et enrichir encore l’exposition, je pense notamment aux collectif des Voix off, l’imprimerie tenue par des femmes. J’aimerais beaucoup qu’elles puissent faire entendre leur voix dans l’exposition !


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
inviteesbmd (24 avril 2024). Sous la Toile avec Mélanie VanDanes. L'effet Marguerite. Consulté le 25 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/w9ni


Vous aimerez aussi...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.