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Ti Ti Ti Taah !* Un feuilleton télégraphique : la mystérieuse disparition de Miss Elder et de son avion, l’American Girl

26 dépêches de l’agence télégraphique « Radio », 1er oct-5 nov. 1927, dossier documentaire Ruth Elder

* (indicatif en code morse, utilisé par la radiotélégraphie)

Miss Ruth Elder, encore dans la carlingue, se débarrasse de sa combinaison, photographie de J. Clair-Guyct. L’illustration, 5 novembre 1927

11 octobre, 22h30 : Miss Ruth Elder tente un vol sans escale New-York – Paris

Les dépêches tombent dans toutes les rédactions ce 11 octobre 1927 : la jeune aviatrice Ruth Elder et son navigateur George Haldeman viennent de quitter l’aérodrome Roosevelt Field à 22h30 heure locale. A bord de l’Américan Girl, ils vont tenter de relier New-York-Paris sans escale, soit 3600 miles en suivant la route des paquebots sur tout le parcours. Miss Elder deviendrait ainsi la première femme à effectuer une traversée aérienne de l’Atlantique.

12 octobre 1927 : une attente fébrile

Les radiogrammes des compagnies de TSF se succèdent. Le vapeur américain Banker signale qu’il a aperçu l’avion au large de la Nouvelle-Ecosse. Un câble du vapeur Grasse précise « Nous n’avons pas encore vu l’American Girl, et tout l’équipage surveille le ciel avec une attention soutenue ».

A 18h45, “la direction du port aérien” du Bourget annonce qu’elle “a pris l’initiative de faire veiller, cette nuit, une partie du personnel et d’alerter les gardiens des terrains de secours au nord de Paris.”

La Préfecture de police a prévu un service d’ordre à partir de demain matin 7 heures.” apprend-on encore.

Outre-Atlantique, à 21h30, des amis de l’aviatrice révèlent qu’elle “avait envoyé il y a déjà deux mois, deux malles pleines de vêtements à Paris, ce qui semble indiquer que l’aviatrice a l’intention, en cas de réussite de son raid, de séjourner quelques temps dans la capitale française.

13 octobre 1927 : le monde retient son souffle

Mais le lendemain, les prévisions de durée de vol étant dépassées, tous les postes de TSF sont en alerte, vapeurs, sémaphores, garde-côtes, aérogares, d’autant qu’un fort brouillard s’est répandu sur la mer.

Un point télégraphique est fait à 8h30. “Ce matin de bonne heure, aucun des postes de police de la côte Ouest de l’Irlande, où l’on veillait depuis hier soir pour essayer d’apercevoir L’AMERICAN GIRL n’avait entendu ou vu quoi que ce soit. Les conditions atmosphériques sont loin d’être favorables“. Du côté de Londres, le Daily Mail confirme : “A 6 heures ce matin aucune nouvelle officielle n’était encore parvenue au sujet de Miss Ruth Elder et de son compagnon.

A midi, la tension monte d’un cran : “Dans tous les sémaphores ainsi qu’à la station de T.S.F de Penmane-Lorient, on guette l’avion du capitaine Haldeman et de Miss Ruth Elder, rien n’est signalé; les postes indiquent un fort brouillard sur l’Océan.”

Après l’attente, l’inquiétude et le découragement prévalent au Bourget :

13 octobre 1927 – 18 heures 20 : L’American Girl a amerri en pleine mer

C’est en fin de journée que survient la dépêche tant attendue, transmise d’un poste à l’autre à partir du navire Barendrecht : « tous les deux sauvés tuyaux d’huile crevés ».

La bonne nouvelle se propage de navire en navire, “La Radio-Corporation” d’Amérique annonce cet après-midi qu’il a reçu un télégramme de l'”Olympic”, qui l’avait lui même reçu du paquebot “Leviathan” déclarant que Miss Ruth Elder avait été recueillie avec son compagnon au large des Îles Açores par le vapeur hollandais “Barendrecht”.

A 20 heures, la mère de l’aviatrice est enfin rassurée : “On mande d’Anniston (Etat d’Alabama) que la mère de l’aviatrice Ruth Elder, qui n’était pas sans éprouver de graves craintes sur le sort de sa fille, a manifesté une grande joie lorsqu’un représentant de l’United Press est venu lui annoncer que sa fille était sauve.”

La seconde partie du dossier relate le même évènement, mais à partir de coupures de presse. La comparaison entre ces deux types de documents ne manque pas de sel, et permet de toucher du doigt la fabrique de l’information dans les années 20.

Une journée d’attente au Bourget

par Jean Amoretti, dans l’Aurore, le 14 octobre 1927

On a attendu vainement, hier, au Bourget, Ruth Elder, l’intrépide américaine de 25 ans, qui, sur son avion American Girl, était partie mardi soir de New-York pour Paris.

Aux premières heures de la matinée, de nombreux journalistes, photographes et opérateurs de cinéma étraient déjà sur le champ d’aviation.

Un brouillard dense et froid estompait les arbres proches. Des gardes républicains à cheval étaient prêts à contenir la foule. Mais la foule ne vint pas.

Par une sorte de pressentiment collectif, elle ne croyait pas que l’audacieuse envolée soit menée à bien une fois de plus.

Il est vrai que cette appréhension était amplement justifiée par le manque absolu de nouvelles.

Peu à peu, des curieux arrivèrent un peu plus nombreux. Hors de la grille limitant le terrain d’aviation, beaucoup de jeunes gens, passant leurs doigts et leurs nez entre les fils de fer, se mirent à attendre. Sur l’aire de départ, des groupes discutaient, en battant la semelle. Les pontifes du sport, très entourés, se montraient bruyamment pessimistes. Un légionnaire américain, coiffé d’un “calot” orange, était seul souriant.

Dans l’incessant vrombissement des hélices, dans le courant d’air qu’elles provoquaient, emportant les chapeaux, dans le va-et-vient des voyageurs aériens, des mots, toujours les mêmes, couraient :
– Alors, rien ?
– Rien…

Le poste de T.S.F. du Bourget parvint à plusieurs reprises, à capter des messages, mais ils émanaient de navires voguant sur l’océan et s’interrogeant eux-mêmes sur le sort de l’American Girl.

Nulle part, on n’avait aperçu l’avion.

Quand on se fut lassé d’admirer les aérobus et d’assister à leurs décollages, quand on eut contemplé un à un les avions dans leurs hangars, l’attente se fit morne.

Pour l’égayer, des photographes entreprirent une partie de bouchon ; elle fit long feu ; les commentaires reprirent et, si la jeune américaine était traitée de folle, on sentait dans cette épithète une part d’admiration. Sur les terrasses, flanquées des trépieds des cinémas, des gens interrogeaient le ciel avec leurs lorgnettes.

Passé midi, on n’attendit plus que par entêtement.

Le buffet de l’aéroport fit des affaires d’or : le froid et l’émotion creusent. A travers les vitres de la salle où s’entassaient des Londoniens frais débarqués, des artistes connus, des aviateurs qu’on se montrait : Corbu, Doret, tous les yeux, dès qu’un moteur gronde, regardaient à travers les vitres l’avion qui passait. Et, quand tomba la nuit, les derniers spectateurs s’en allèrent déçus : pas de nouvelles…

Un ouvrier pourtant dit à un brave provincial qu’il promenait :
– Vous avez de la chance : des grands raids, on n’en voit pas tous les jours !


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Catherine Anger (4 octobre 2024). Ti Ti Ti Taah !* Un feuilleton télégraphique : la mystérieuse disparition de Miss Elder et de son avion, l’American Girl. L'effet Marguerite. Consulté le 22 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12f9j


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