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Louise Koppe, fondatrice des maisons maternelles : de l’anecdote familiale à l’enquête historique

Par Florian Bernard, descendant et biographe de Louise Koppe

Toute mon enfance, j’ai passé de nombreux weekends à jouer chez mon grand-père, à La Maison Maternelle de Montsouris, Paris 14e. On me parlait alors de temps en temps de Louise Koppe, une illustre ancêtre qui avait fondé il y a bien longtemps cette maison d’accueil pour enfants, mais je n’avais pas alors l’âge de m’intéresser à tout cela. J’avais juste retenu, avec fierté, que Victor Hugo aurait été le parrain de la fille de Louise Koppe, Hélène, mon arrière-grand-mère.

Le temps est passé, et ces dernières années, il m’a pris l’envie de vérifier cette légende familiale. Je n’aurais jamais imaginé que cela puisse aboutir à l’écriture d’un livre.

Je suis tout d’abord tombé sur un tapuscrit de mon grand-père, Silvère Bernard-Koppe, qui a consacré toute sa vie, comme ses parents avant lui, à la gestion de La Maison Maternelle. Dans les années 80, il avait écrit une biographie de Louise Koppe ainsi qu’une brève histoire de La Maison Maternelle, en se basant sur une biographie écrite par Léon Thévenin en 1908, et sur le texte d’un inconnu écrit en 1930 et retrouvé dans les archives de la Fondation. Avec les moyens de l’époque, et avec ses documents personnels, il a pu ainsi reconstituer une bonne partie de la vie de sa grand-mère, Louise Koppe.

Maison Maternelle Louise Koppe, Distribution de viande aux femmes sans travail. Par Charles Lansiaux, le 10 octobre 1914.Ville de Paris / BHVP

Dans son texte, Silvère Bernard-Koppe mentionne bien le fait que sa mère a été la filleule de Victor Hugo. Mais rien de vraiment tangible, il me fallait une preuve plus concrète, irréfutable, comme un acte de baptême ou autre document administratif.

Je me suis donc lancé dans la généalogie, et la machine était lancée. Toute personne ayant la fibre généalogique a certainement vécu la même expérience que moi j’imagine, je suis devenu comme obsédé. C’est comme si chaque nom, chaque date, chaque histoire me tendaient la main, m’invitant à plonger plus profondément dans le passé de ma famille. Ce qui avait commencé comme une simple curiosité était devenu une véritable passion, une quête incessante pour découvrir mes racines.

Aujourd’hui, il suffit de quelques clics sur internet pour consulter les registres, mais paradoxalement, ça n’en rend la tâche que plus immense (pour ne pas dire sans fin), car on a accès à tout.

Alors chaque soir, je m’enfonçais dans un labyrinthe de documents anciens, explorant les registres d’état civil sur les sites dédiés, déchiffrant les vieux parchemins, traquant chaque indice, chaque lien de parenté, les heures passant sans que je m’en rende compte, absorbé par cette quête de connaissances sur mes ancêtres.

Mais lorsqu’enfin, peut-être deux ans plus tard, je suis revenu à mes recherches initiales, fort de mes nouvelles compétences, je n’ai rien trouvé. Rien dans l’état civil, et rien dans les registres de toutes les paroisses de Paris. Hélène a-t-elle bien été la filleule de Victor Hugo ? Je commençais à en douter, à moins que ce baptême n’ait été que symbolique, quelques mots échangés entre Louise Koppe et son ami, mentor et Maître Victor Hugo ? Comment savoir ?

Il me fallait explorer d’autres pistes. J’ai donc contacté un historien, Jean-Marc Hovasse, spécialiste de Victor Hugo, et lui ai exposé ma demande et mes difficultés. Il m’a alors immédiatement répondu : « Vous pouvez tout de suite arrêter de chercher un acte de baptême où le nom de Victor Hugo serait mentionné à cette date-là : c’est forcément d’un baptême laïc qu’il s’agit, si j’en crois une lettre des années 1880 où son secrétaire explique qu’il refuserait tout parrainage autre que laïc. […] Ce n’était pas si rare à la fin de sa vie qu’on lui demande d’être parrain (ou témoin de mariage) : il acceptait pour ses amis (donc c’est bien un signe d’amitié fort). »

Voilà qui était clair, mais qui n’offrait toujours aucune preuve.

Louise Koppe au milieu des enfants de sa première maison maternelle, 1892.

À cette même époque, à travers les textes de mon grand-père et de Léon Thévenin, je découvrais la vie de Louise Koppe. Passionnant et incroyable, j’étais ébloui par son parcours et étonné par son audace. Mais bien que fourmillant de détails précieux et émouvants sur la vie personnelle et sociale de mon arrière-arrière-grand-mère, je me suis vite aperçu qu’il y avait beaucoup de lacunes et d’incohérences dans les dates et les faits.

J’ai donc commencé à reprendre ces textes par écrit, vérifiant ou tentant d’en développer chaque phrase en faisant des recherches sur internet. Je voulais écrire un texte sur Louise Koppe en notant tout ce que je trouvais, une sorte de mémoire que je pourrais consulter à tout moment si je voulais me replonger dans la vie de mon ancêtre, un texte pour ne pas oublier, un texte que je pourrai plus tard transmettre à mes enfants. Et je fus étonné de l’incroyable quantité de nouveaux éléments que je découvris.

Les recherches en elles-mêmes furent une aventure et m’apportèrent leur lot d’émotions et de surprises. Les ressources mises à disposition par la Bibliothèque Nationale de France sur Gallica et sur Retronews — avec notamment plusieurs centaines d’articles de presse de l’époque où figurent les noms de Louise Koppe ou de Louise Rétoux — sont une mine d’informations incroyable, elles permirent de combler les trous et de dater précisément chaque étape de sa vie. J’allai de découverte en découverte, toutes plus incroyables les unes que les autres. Les pistes de recherches se multipliaient, m’amenant à échanger avec des historiens et à visiter de splendides lieux d’archivages et de recherches, telles que la BNF Richelieu (où je trouvai la partition d’un chant patriotique composé par Louise Koppe), ou le Musée Victor Hugo place des Vosges, où je pus consulter une lettre de mon ancêtre adressée au poète. « Nous sommes contents que vous soyez venu, me confia un jour la chargée de la correspondance au Musée Victor Hugo, ce lieu a été créé pour cela, pour que toutes ces lettres que nous conservons ici, destinées à l’époque au poète, puissent être lues par les descendants de leurs expéditeurs ».

Le personnel de la BNF m’a bien aiguillé, et j’ai pu ainsi découvrir la Bibliothèque Marguerite Durand, détentrice d’un dossier sur Louise Koppe, où j’ai pu trouver quelques pépites, comme un rare recueil de biographies de quelques féministes de l’époque (dont Louise Koppe) — Les Amazones du Siècle, par Jehan des Étrivières, 1882. Il y avait aussi quelques photos, des comptes-rendus d’AG, et même une carte de visite de mon ancêtre. Ému de trouver là toutes ces reliques, je me suis alors promis de revenir plus tard pour y apporter ma pierre : dès que j’en aurai fini avec mes recherches et que j’aurai rédigé mon texte, je viendrai en déposer une copie à la Bibliothèque Marguerite Durand.

Documents conservés dans le dossier Angèle et Louise Koppe à la bibliothèque Marguerite Durand. 1. Carte de visite, 2. “La femme & l’enfant, revue de progrès social” dirigée par Louise Koppe. 3. Reçu d’un don de Marguerite Durand à la maison Maternelle. 4. En-tête d’une lettre de L. Koppe

Un matin, alors que je visitais la tombe de Louise Koppe au Père-Lachaise, je tombai sur une couronne de fleurs récemment déposée, avec ces mots mystérieux inscrits sur un grand ruban bleu : « Fédération Française Le Droit Humain ». Il me fallut mener une nouvelle enquête, et je découvris que Louise Koppe avait été l’une des pionnières de la première loge maçonnique mixte au monde, Le Droit Humain, et que les membres de cette loge lui rendaient encore hommage régulièrement aujourd’hui ! Cette découverte m’ouvrit par la suite de nouvelles pistes de recherches, et me motiva à aller jusqu’au bout des choses, à tâcher de réunir absolument tout ce qui était trouvable et analysable sur Louise Koppe, sur internet et dans les bibliothèques, à tout organiser, relier, pour reconstituer la vie d’une femme formidable.

Plus encore que ces péripéties personnelles émaillant mes recherches, c’est la vie de Louise Koppe qui m’a le plus impressionné, son caractère, sa volonté inébranlable d’accomplir ce que son cœur lui commandait, son audace, son énergie. Elle avait tout de l’héroïne qui, née dans une société injuste où la femme était quasiment abaissée au rang d’esclave, n’acceptait pas sa condition et voulait changer le monde. Partie de rien et manquant de tout, elle a croisé la route de solides mentors — Victor Hugo, Paul Bert, Léon Bourgeois — qui ont pu la guider et lui donner quelques armes lui permettant d’accomplir son destin. Mais c’est bien avec son courage et sa force sacrée intérieure qu’elle a bravé tous les obstacles et affronté de redoutables adversaires : un terrible mari qui entendait faire de sa femme une bonne commerçante, une société qui voyait ce féminisme naissant d’un mauvais œil, une Ville de Paris plutôt réticente à financer des initiatives privées, une Assistance publique à la politique implacable et inflexible…

Brochure sur la Maison Maternelle, 1921. Dossier Angèle et Louise Koppe, bibliothèque Marguerite Durand.

Ce qu’elle a accompli est grand et digne d’éloges, mais pour bien le comprendre, il a fallu replacer ce destin dans un Paris de la fin du XIXe siècle où le féminisme n’en était qu’à ses balbutiements, puis remettre celui que Louise Koppe défendait dans son journal — un féminisme maternel — dans son contexte. Il a fallu étudier le fonctionnement d’une société qui n’a plus grand-chose à voir avec celle d’aujourd’hui, afin de comprendre en quoi son œuvre finale, La Maison Maternelle, a été une révolution pour la protection de l’enfance et de la famille.

Si aujourd’hui de nombreux établissements et organismes existent et accueillent des enfants temporairement sans couper le lien familial, ce n’était pas du tout le cas du temps de Louise Koppe. La société d’alors était plus punitive, et les pauvres parents qui, accablés par la misère, étaient contraints de laisser leur enfant à l’Assistance publique, n’avaient que peu d’espoir de le revoir un jour, car cet acte était considéré comme un abandon définitif. C’était notamment le cas de toutes les filles-mères dont l’enfant n’avait pas été reconnu par le père, ou de ces nombreuses femmes abandonnées par leur mari : dans cette société hostile aux femmes seules, elles étaient inévitablement frappées par la misère et devaient se résigner à abandonner leurs petits à l’Assistance publique. Là se trouvait le cœur du combat mené par Louise Koppe toutes ces années, car pour elle, la femme s’accomplit dans la maternité, et la séparer définitivement de son enfant est dévastateur et inhumain. C’est donc elle qui, la première, créa une maison pour aider ces mères désemparées, en y accueillant temporairement leurs enfants le temps qu’elles retrouvent une situation plus solide.

J’ai donc mis tout cela par écrit, tout d’abord dans un but personnel comme je le disais, afin de ne rien oublier. Et puis, le temps passant, je me suis rendu compte que le récit de sa vie méritait d’être connu de tous, tant par son côté héroïque qui ravirait les amateurs d’histoires et de destins étonnants, que par les valeurs universelles qu’il véhicule.

“Un dortoir de la Maison Maternelle rue Manin, 38bis à Paris (19e) 55 lits. Deux autres dortoirs semblables, plus une infirmerie et un isolement. En tout 135 lits.”

“La Maison Maternelle dite Nid-des-Bois à Manou. Promenade au bord de l’eau.” Ces deux photographies viennent d’une brochure de 1921 conservée dans le dossier “Maisons Maternelles”, Ville de Paris/BMD

Mais surtout, Louise Koppe, à son échelle, a fait l’Histoire, et son nom a toute sa place aux côtés de celui des grandes pionnières du féminisme en France. Pourtant, qui se souvient d’elle aujourd’hui ? On parle encore de Louise Michel, d’Hubertine Auclert ou de Maria Deraismes, mais très peu de Louise Koppe, qui était pourtant tout aussi considérée à l’époque. Les historiens n’ont pas suffisamment exploré son histoire pour la préserver de l’oubli collectif, comme certainement bien d’autres grands hommes et femmes tombés dans l’oubli. Peu de biographies ont été publiées à son sujet, la dernière — celle écrite par Léon Thévenin — date de 1908. Alors, j’ai décidé d’y remédier en écrivant une nouvelle biographie, plus complète, qui est le fruit de plusieurs années de recherches minutieuses.

Aujourd’hui, le livre est enfin achevé. J’en ai déposé un exemplaire à la BNF et un autre à la Bibliothèque Marguerite Durand, et ainsi, je suis certain que l’histoire de Louise Koppe restera à jamais accessible à tout curieux, chercheur, ou descendant de cette femme d’exception.

À présent, il s’agit de faire connaître son histoire, et rendre à Louise Koppe la place qu’elle mérite dans notre mémoire collective, aux côtés des plus grandes pionnières du féminisme en France. Que cette biographie ne soit pas seulement un hommage, mais aussi un rappel puissant de ce que peut accomplir une volonté inébranlable face à l’adversité. Que son nom inspire et que son héritage continue de rayonner à travers les générations, guidant ceux qui, aujourd’hui encore, luttent pour une société plus juste et plus humaine.

Florian Bernard


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
inviteesbmd (30 octobre 2024). Louise Koppe, fondatrice des maisons maternelles : de l’anecdote familiale à l’enquête historique. L'effet Marguerite. Consulté le 24 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12lfs


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