Les archives d’Yvonne Netter, une traversée du 20e siècle



Yvonne Netter (1889-1985), féministe aux engagements multiples, qui comme de nombreuses pionnières, a conscience de l’importance de conserver des traces de ses activités professionnelles et militantes, a constitué un fonds d’archives riche et varié. Dès ses débuts elle réunit de nombreux articles concernant son activité d’avocate dans un très bel album relié cuir couvrant la période 1921-1928 (numérisation bientôt disponible).
Ses archives, données à la bibliothèque Marguerite Durand par son fils Didier Gompel-Netter, mêlent éléments professionnels à d’autres à caractère plus personnels, dont une importante correspondance.
Focus sur une sélection de documents qui éclairent un parcours et une époque.
Cartes postales de soldats blessés

Ces cartes postales couvrent la période 1913-1917, on peut y lire, d’une écriture plus ou moins affirmée, un grand respect pour Mme Gompel (son nom de femme mariée), l’infirmière à qui les soldats donnent de leurs nouvelles ou présentent leurs vœux. Deux cartes portent le même motif patriote avec bouquet colorisé et drapeau français. La troisième présente une photo du Château du Tremblay en Indre-et-Loire d’où est originaire l’auteur.
Yvonne Netter a 25 ans quand la guerre éclate. Dès mars 1915 elle s’engage comme infirmière à l’hôpital complémentaire V.L. 26 à Paris, elle est diplômée en décembre 1915. Elle est ensuite diplômée infirmière major en juin 1916, ce qui lui procurera un statut assimilé à celui des anciens combattants. De juin à octobre 1917 elle officie à l’hôpital militaire complémentaire de Meaux.
Lettre d’inscription au tableau

Lettre du secrétaire de l’Ordre des Avocats à la cour de Paris pour inscription au Tableau datée du 15 octobre 1924.
L’imprimé comporte les mentions “Monsieur” à deux reprises, sur lesquelles ont été ajoutées les mentions manuscrites “Madame”.
Après la guerre (et son divorce) Yvonne Netter reprend ses études et obtient le baccalauréat. Son statut de démobilisée lui permet de passer une licence de droit en deux ans. Sa thèse intitulée L’indépendance de la femme mariée dans son activité professionnelle est publiée aux PUF en 1923 sous le titre Le Travail de la femme mariée, son activité professionnelle. Elle devient avocate en 1924. La profession ayant été ouverte aux femmes en 1900, elles sont environ 200 au barreau de Paris à cette époque.

Carte de remerciement écrite par une enfant

Les témoignages de gratitude d’anciens clients sont sans doute les lettres les plus émouvantes des archives dYvonne Netter. Ici une enfant dont elle a probablement défendu la mère.
Parmi ses premiers clients, se trouvent en effet de nombreuses clientes qu’elle a représentées notamment dans des affaires de divorce, qui lui valent le surnom “la sorcière”. Ses débuts sont difficiles mais grâce au bouche à oreille sa réputation se forge et sa clientèle se diversifie.
Lettres de remerciement pour l’envoi de ses publications
C’est à travers ses conférences (en France, Tunisie, Algérie, Belgique…) et ses publications qu’Yvonne Netter défend le plus ardemment ses convictions. Ses ouvrages concernant le droit et les femmes s’adressent à la société dans son ensemble mais elle prend soin de les faire parvenir à ceux qui font les lois et à ceux qui les appliquent – les hommes politiques et les avocats – ainsi qu’à celles qui incarnent alors le mouvement féministe.
Certains de ses livres sont conçus comme des guides pratiques à destination des femmes et connaissent un large écho dans la presse féministe et féminine.
Elle publie :
- L’indépendance de la femme mariée dans son activité professionnelle (thèse), 1923
- Le Travail de la femme mariée, son activité professionnelle – préface de Jean Ernest-Charles, 1923
- Le Code de la femme, 1926
- Le Code pratique de la femme et de l’enfant, 1930
- Plaidoyer pour la femme française, 1930
- La femme face à ses problèmes, défense quotidienne de ses intérêts, 1962

De nombreuses cartes de remerciement lui sont envoyées suite à la réception de sa thèse.
Ici celles d’Aristide Briand, avocat et ministre, de Paul Doumergue, futur Président de la République, de Lucien Hubert, sénateur et homme de lettres et de Maurice Bokanowski, député et futur ministre.
Ici une lettre de Adrienne Avril de Sainte-Croix, présidente du Conseil National des Femmes Françaises, suite à l’envoi du Code pratique de la femme et de l’enfant, 5 décembre 1930
Vous avez fait là une œuvre utile, dont nous vous sommes reconnaissantes, et les femmes ne manqueront pas de consulter ce précieux guide, si clair…

Lettre d’Andrée Viollis




Voici le bulletin d’adhésion au Syndicat (…) La question se posera de savoir si vous êtes plus journaliste qu’avocate (…) Mais je plaiderai de mon mieux votre présence au comité. Je serais si contente de vous avoir parmi nous.
Cette réponse d’Andrée Viollis à la demande d’Yvonne Netter d’adhérer au syndicat des journalistes nous apprend que cette dernière se considère donc journaliste aussi bien qu’avocate.
Ses chroniques juridiques et judiciaires sont un autre moyen de faire avancer la cause féministe. Des années 1930 aux années 1960 elle collabore ainsi à de nombreux journaux : Le Quotidien, L’Opinion républicaine, L’Univers israélite, La Dépêche africaine, Les dernières Nouvelles de Strasbourg, Le Journal, Les Dimanches de la femme, Minerva, Police magazine, Confidences…
Carte de Louise Weiss
Merci chère Yvonne. Je n’oublie rien de notre ardente collaboration passée (…) Vous êtes le courage et la compétence en personne !

Yvonne Netter a âprement milité pour le droit de vote, comme le rappelle ici Louise Weiss et comme elle le raconte elle-même avec beaucoup d’humour dans cette interview filmée par Carole Roussopoulos en 1982 : conférences, manifestations, jet de bouquets de myosotis (forget-me-not en anglais) accompagnés de chaussettes aux sénateurs, lancer de poudre de riz à la tête des agents de police (elle fait parler la poudre !).
Dans l’entre-deux-guerres Yvonne Netter s’investit dans plusieurs associations féministes : elle préside la Société pour l’Amélioration du sort de la femme, est active au sein de la Ligue française pour le droit des femmes et de l’Union française pour le suffrage des femmes. Son féminisme porte prioritairement les revendications du suffragisme, des droits civils (réforme du statut de la femme mariée) et met en avant le travail comme outil émancipateur. Elle participe ainsi à des associations féminines, qu’on qualifierait aujourd’hui “de réseau”, comme le Soroptimist Club, l’Union des femmes de carrières libérales et commerciales ou l’Association des femmes diplômées des universités.
En 1933 elle crée le Foyer-Guide féminin dont l’ambition est d’être :
un lieu où la femme qui travaille peut recevoir des conseils juridiques, médicaux, professionnels et commerciaux, faire ses démarches administratives, consulter offres et demandes d’emploi, renseignements sur les théâtres et les concerts, réaliser encaissement et paiement des chèques, mais aussi un salon-bibliothèque où se reposer, lire, écrire, téléphoner, prendre une tasse de thé. Le projet est largement relayé dans la presse, comme en témoigne le carnet de coupures de presse conservé dans ses archives dont est extrait l’article ci-contre paru dans le journal La Lumière daté de mars 1933. Le club est inauguré par des figures de la politique et du mouvement féministe – dont Marguerite Durand. Il essaime ensuite dans plusieurs grandes villes.

Certificat de baptême

En parallèle de ces activités Yvonne Netter s’investit à partir des années 1920 dans la cause sioniste. Elle intègre différentes associations – elle préside la section française de la W.I.Z.O. (organisation internationale des femmes sionistes) ainsi que l’association des Dames israélites de Paris, elle est membre de l’Union Universelle de la Jeunesse Juive, de l’Union des sociétés israélites de secours mutuels et de la Société des Amis des étudiants. Elle prononce de nombreuses conférences en France et à l’étranger. Fervente patriote, comme en témoigne son engagement pendant la Première Guerre mondiale, c’est la situation des Juifs d’Europe de l’Est qui motive son soutien au sionisme. Elle quitte cependant le mouvement en 1939.
Au début de la guerre, elle fait une rencontre décisive en la personne de Madeleine Fauconneau du Fresnes, militante au Réarmement moral. En cette période de grand désarroi, elle se laisse rapidement influencer par la foi de Madeleine et se convertit au catholicisme en 1940.
Interdiction d’exercer
Sa conversion, qui la met à l’écart de la société juive qu’elle fréquentait jusqu’alors, ne la protège aucunement des persécutions.
L’avis du greffier en chef de la Cour d’appel de Paris, en date du 3 mars 1942, l’enjoint à cesser l’exercice de sa profession, suivant le décret du 16 juillet 1941 fixant un numerus clausus de 2% d’avocats juifs inscrits au barreau.
Elle est déjà entrée dans la résistance et se fait arrêter en juillet 1942, elle est finalement internée dans le camp de Pithiviers. Madeleine Fauconneau du Fresnes l’aide à s’en évader en février 1943 (immédiatement arrêtée à son tour puis déportée au camp de Beaune-la-Rolande où elle porte l’étoile blanche “Amie des juifs” elle est libérée en juin). Yvonne Netter retrouve son amie à Paris en 1944. Son frère et sa famille ont été déportés (sa belle-sœur ne reviendra pas). Elle reprend ses activités de résistante.

Témoignages de ses activités de résistante

J’ai utilisé Mme Yvonne Netter comme agent de liaison de la résistance, responsable d’une boîte aux lettres et ronéotypiste
Je sais qu’elle a également aidé à cacher et orienter des parachutistes alliés ou des agents actifs de la Résistance
elle m’a caché à plusieurs reprises lorsque j’étais recherché activement
Lettre de Pierre Fribourg, 18 février 1962
Cartes de félicitations pour la Légion d’honneur

Après la guerre, Yvonne Netter reprend sa profession d’avocate et retrouve sa place dans certaines associations.
Nommée chevalier de la Légion d’honneur par décret du 2 août 1948, en qualité de présidente de Société de secours mutuels, elle est promue au grade d’officier de la Légion d’honneur par décret du 20 avril 1963, en qualité d’avocat à la cour d’appel de Paris.
Carte de Georgie Myers Auburtin et Jean Auburtin, avocats à la Cour d’appel de Paris, 1963.
Carte de Maryse Bastié
très heureuse pour cette croix vous félicite sincèrement et vous embrasse bien affectueusement

Ma vie

Ce livre (…) sera mon confident pour les dernières années de ma vie. Je le commence le jour de mes 90 ans – Comment peut-on vivre aussi longtemps ? Est-ce bien utile ? Je ne le crois pas.
C’est ainsi que commence en avril 1979, Ma vie, carnet de 134 pages manuscrites, qui tient à la fois du journal et des mémoires, il s’achève à la fin de l’été 1980.
Je devins donc avocat en 1920. Là commença ma vie de travail (…) Là commença mon action féministe qui ne devait plus s’arrêter.
Nous n’étions pas nombreuses pour propager cette nouvelle idée : la femme doit être l’égale de l’homme.
Source
Yvonne Netter (1889-1985) : itinéraire d’une avocate féministe et sioniste dans le première moitié du siècle en France / Christine Bard dans Sexe et race : discours et formes nouvelles d’exclusion du XIXè au XXè siècle : séminaires 1989-1990 / [organisé par] le Centre d’Etudes et de recherches germaniques, Dea d’histoire et civilisation des sociétés occidentales, Université de Paris 7 ; sous la direction de Rita Thalmann, Paris : Univ. de Paris 7, 1991
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Sophie Béral (20 février 2025). Les archives d’Yvonne Netter, une traversée du 20e siècle. L'effet Marguerite. Consulté le 23 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13cmh